Un itinéraire de recherche en santé mentale

Les premiers pas…

Mon intérêt pour la psychiatrie et la psychanalyse date de bien longtemps. A 18 ans, je voulais comprendre « l’homme », ce que « fait l’homme de ce que l’on a fait de lui ».

Une enfance africaine m’a immédiatement donné une perception anthropologique de la maladie mentale : le différent, l’autre, faisait partie de ma vie. Et en Afrique, le « fou », le malade mental n’était, n’est pas « traité » comme en Europe …

Aussi, tout naturellement, en 1975, après des études de sociologie où les options psy étaient majoritaires, j’ai voulu travailler sur le « terrain », en psychiatrie, et me suis mêlée au généreux mouvement de ce que l’on a appelé l’antipsychiatrie avec Félix Guattari, David Cooper, Franco Basaglia et RobertCastel. Et vite, très vite j’ai voulu écrire, décrire la réalité de ce que je vivais, voyais à l’hôpital ( tentative de suicide, crise d’alcool, crise « H ( hystérie) ») avec un parti pris d’honnêteté et de rigueur. Ce réel me semblait plus complexe que ce que je lisais dans les livres. Et ce projet est devenu une thèse menée en collaboration avec Robert Castel, dont je ne partageais pas toute les idées décrites dans la « Gestion des risques ». Ma thèse s’appelait alors «  L’impossible médicalisation de la psychiatrie ».
A cette époque, je travaillais aussi au Fonds National de la Recherche Médicale (FRSM)-sous l’égide de l’OMS- à un projet international d’évaluation des secteurs psychiatriques et également avec Mony Elkaïm à l’Ecole de Santé Publique de l’Université Libre de Bruxelles.( 1979-1989).

J’ai travaillé à partir de récits de vie de patients, pressentant que c’était plus juste pour tenter de décrire et comprendre leurs réalités. Il me semblait aussi important de s’intéresser au statut de la parole de celui qui était à l’hôpital.

Cela a donné lieu au texte «  Itinéraires psychiatriques de vie »,1 texte nécessaire avant de pouvoir s’interroger sur «  les carrières psychiatriques »2 de ces patients et leurs stratégies par rapport à l’hôpital psychiatrique. Simultanément, je menais cette étude d’évaluation pour l’OMS avec des outils plus « standardisés » lesquels m’ont permis de voir beaucoup de patients, étoffant ainsi mon expérience.3 De même, j’observais la réalité de l’insertion de la psychiatrie à l’hôpital général universitaire ainsi qu’en hôpital d’assistance publique, deux modèles de soins bien différents. Un journal de bord de 2000 pages a servi de base à une analyse des pratiques de la psychiatrie à l’hôpital général et a donné lieu à la thèse et au livre «  Les psychiatries, médecine de pointe ou d’assistance ? »4

La réponse étant les deux bien sûr…La réalité de la psychiatrie d’aujourd’hui le confirme encore.

Une expérience américaine

Par le biais du Fonds de la Recherche Scientifique Médicale ( FRSM°), j’ai eu l’occasion de partir avec une bourse Fullbrigth postdoctorale à la Medical School of Public Health de Harvard University( 1986-1987) Là, j’ai mené l’analyse d’une recherche épidémiologique sur la symptomatologie dépressive des adolescents belges filles garçons, 16-21 ans. Une échelle de symptomatologie dépressive le CES-D Scale a été utilisée. Les résultats furent étonnants : les jeunes belges étaient, entre autres, plus déprimés que les petits américains et le statut social plus déterminant que le sexe par rapport à la symptomatologie dépressive.5
Cela fut l’occasion d’approfondir la santé mentale à partir d’une autre facette, l’épidémiologie sociale et d’une autre culture encore, US cette fois.

De retour des Etats- Unis, j’ai travaillé dans le domaine des études de marché et du marketing où j’ai appris à écrire rapidement des rapports opérationnels pour des clients. Ce que j’en ai retenu m’était déjà familier : « le génie du marketing, c’est se mettre dans la peau de l’autre. »

La recherche au service du politique

Néanmoins, ce n’était pas mon sujet. En 1989, la Région Bruxelloise se crée comme entité géographique et politique autonome. Une réforme de la psychiatrie était en cours dans les deux autres régions du pays, la Flandre et la Wallonie. Il semblait important aux yeux des décideurs de la Région, les Ministres de la santé francophone Jean Louis Thys et néerlandophone, Jos Chabert, de mieux connaître les caractéristiques du paysage psychiatrique bruxellois afin de prendre des mesures adéquates pour Bruxelles .

Bruxelles se distingue notamment des deux autres régions par une offre hospitalière moindre et un nombre plus important de services de santé mentale dits ambulatoires, c’est- à- dire extra hospitaliers.
Et j’ai dès lors été chargée de cette mission qui a donné lieu au décret redéfinissant la fonction des services de santé mentale appelés organisations à projet au-delà de leur mission commune et de base de santé publique.( cf « Perspectives de la politique bruxelloise de santé mentale »
6)
Voilà donc encore une autre manière d’aborder la santé mentale : la santé publique et l’évaluation des politiques de soins et leur organisation. ( 1989-1992).

Une expérience de terrain

Par la suite, après des contrats de recherche( Fondation Roi Baudouin) toujours et la réalisation du pré-test de l’Enquête de Santé par Interview, première enquête de santé menée en Belgique pour le Ministère de la santé Publique, j’ai résolu de privilégier une expérience de terrain autour de l’écoute dans le cadre de Télé-Accueil, association sœur de SOS Amitiés. Télé Accueil est un service d’écoute téléphonique organisé à l’aide d’une équipe de bénévoles. Et très vite, cette question du bénévolat m’a interpellé. Elle réunissait des individus très différents mais avec quelque chose en commun, une certaine forme d’altruisme. Qu’était-ce cette réalité ?

Un projet de recherche est né en collaboration avec une collègue sociologue, Natalie Rigaux (cfr Des individus dans la ville)7

Un colloque « Le Bénévolat en Question » a été organisé faisant suite à un grand colloque sur l’écoute ( « L’écoute, promesses et impasses »)8 ( 1996-2004).

Retour à l’évaluation

Après ce travail plus associatif, où je me suis retrouvée du côté des institutions, j’ai repris les questions d’évaluation et d’expertise à travers la thématique des réseaux de soins et l’évaluation d’un follow- up de petits patients suivis par une unité de soins pédo-psychiatriques à domicile, la Lice. Ce travail est toujours en cours actuellement.
Mais, revenons au Réseau. Bruxelles Est . Il s’agit d’un réseau multidisciplinaire, regroupant des professionnels de la santé mentale, de la police, de la justice et des services sociaux autour des patients d’un même territoire, l’est de Bruxelles. Ce réseau s’est créé dans le prolongement d’une coordination entre services d’urgence et services de santé mentale.

En effet, depuis un certain temps, face à l’engorgement exponentiel des salles d’urgence et l’augmentation d’expertises nécessaires à une mise en observation (cfr la loi du 26 juin 1990-appelée hospitalisation sous contrainte dans d’autres pays européens), une mise en commun des ressources spécifiques s’est organisée à travers un réseau de coordination dans la cité, là où se posent les problèmes.

En novembre 2005, le réseau Bruxelles Est a organisé une journée de réflexion autour de « L’augmentation des demandes d’expertise pour une mise en observation : symptôme de malaise urbain ? », réunissant des intervenants belges et étrangers, experts et praticiens, relevant le défi de démontrer l’importance d’un travail en réseau et de coordination dans la cité, directement relié à la réalité du terrain9. En même temps, en mai 2005, j’ai été auditionnée par la Commission Santé du Parlement Bruxellois dans le cadre d’une évaluation du décret organisant les services de santé mentale, dix ans après son application. Pour rappel, ce décret fait suite à l’étude «  Perspectives pour une politique de santé mentale en Région Bruxelloise »10

Actuellement, je suis conseillère à la Fédération des Institutions Médico-Sociales ( FIMS) en charge du secteur de Promotion de Santé à l’Ecole ( médecine scolaire).
Depuis 1964, ( loi du 21 mars 1964) la médecine scolaire ( Inspection Médicale Scolaire I.M.S.) est gratuite et obligatoire en Communauté Française.

En 2001, la Communauté Française a adopté deux décrets réorganisant la médecine scolaire : le décret du 20 décembre 2001 relatif à la Promotion de la Santé à l’Ecole et le décret du 16 mai 2002 relatif à la promotion de la santé dans l’enseignement supérieur non université.

La Fédération des Institutions Médico-Sociales ( FIMS) regroupe 17 services de promotion de la santé à l’école en Communauté Française qui assurent la tutelle de quelques 400.000 élèves sur les 900.000 , tous réseaux confondus que compte la Communauté Française et à qui elle destine les services de promotion de santé à l’école

Je collabore également au projet de la Lice, unité de soins pédo-psychiatriques à domicile en région Bruxelloise.

La Lice a pour objectif thérapeutique central de fournir des soins et services intégrés afin de traiter les troubles interactifs entre le jeune enfant, sa famille et son environnement. Une recherche d’évaluation du devenir des petits patients est en cours. L’objectif de cette étude de follow- up, suivi, auquel je collabore est d’apprécier les bénéfices thérapeutiques sur le long terme.

Notes

1 Verhaegen L., « Itinéraire psychiatrique de vie », Pratiques en santé mentale, revue Croix Marine , Paris N° 4, novembre 2001, p 27-36

2 Verhaegen L., « Eléménts pour une analyse des nouvelles carrières psychiatriques », Sociologies et Société, Montreal, 1985, XVII, 1, p 51-60

3 Verhaegen L., « The Evolution of the Belgian Psychiatry » Int. J. Mental Health, numéro special: “The Mental Health Care in Europe in the past 25 Years”1987, vol 16 (1-2) p 42-57

4 Verhaegen L; « Les psychiatries. Médecine de pointe ou d’assistance ? » Ed. Cabay, Louvain la Neuve, 1985, 250p

5 VerhaegenL., Deykin E., Sand E.A. «  Depressive symptoms and employement status among Belgian adolescents »,R vue d’Epidémiologie et de Santé Publique, 1993, 41,p298-305

6 Verhaegen L., « Perspectives de la politique Bruxelloise de Santé Mentale ». Rapport déposé auprès des Ministres J.Chabert et JL. Thys, Ministres de la Santé de la Région de Bruxelles Capitale

7 Rigaux N., «  Des individus dans la ville »in « Santé mentale, villes et violences » sous la direction de Michel Joubert, ERES, 2003, Paris p.264-285

8« L’écoute: promesses et impasses » Télé-Accueil Bruxelles Cahiers de la santé de la Commission Communautaire Française, n°8, 130p

9“ L’augmentation des demandes d’expertise pour une mise en observation : symptôme de malaise urbain ? » cahiers de la santé de la Commission Communautaire Française n°23 66p

10 Verhaegen L., “Evolution de la psychiatrie à Bruxelles” revue l’Observatoire n °49/juin2006, p 3-14

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